Dom Sculpteur

Dom Jeambrun    Sculpteur  Métal  Alchimiste

Je le sais que je suis buriné. Tout de même. J’en ai tiré un grand profit ; répulsion – on me fout la paix – et attirance – les rides, traces de vies accumulant un trésor, ça tente les curieuses, et les cinéastes ; les photographes, aujourd’hui encore je pose régulièrement. Néanmoins, j’ai conscience que ces sillons sont le reflet d’une souffrance identifiée et d’une endurance intérieures. Le labeur acharné, harassant  à me libérer de rouilles mentales  tenaces. Karmiques. Insomnies chroniques.

Le travail physique peut éroder le visage d’un mineur, d’un marin, mais mon rythme à moi est plutôt cool par rapport à ceux du calvaire.  J’ai le loisir de longues méditations tous les matins suivies de lecture et contemplation aux bars du coin, sorties qui me sont indispensables. Après  j’en mets un coup, jusqu’à ce que je me prenne un peu trop les pieds dans les câbles des disqueuses posées au sol ou que quelques fers pointus m’accrochent le treillis ; c’est l’heure, la vigilance me le montre ; sa batterie clignote. Un cas’crout’ pour le corps, un bout de Qi Gong pour le souffle, et un jeu vidéo pour l’évasion. Depuis ma naissance, la lumière du jour m’offre des après-midi  assez longues. Même si parfois un métal lourd comme un temple  – j’adore les temples – me demande l’effort surhumain pour le soulever et le mettre à plat sur l’établi, ce n’est pas ça qui va me buriner la gueule, crois moi. Tant d’années, de mois de travail musclé face à la résistance du fer, et pourtant mes mains n’ont subi aucun outrage, aucune blessure. Je les bénies. Mais par dessus tout je le béni LUI, d’avoir su orienter le sens que je donne aujourd’hui à ma manière de créer, particulièrement d’orienter ma force juste là ou il convient. Le reste du temps, c’est de la patience.

La patience est une douceur, alors le talent a du tact.

Longuement,  vouloir être différent des autres, on fini un jour ou l’autre par être soi même.
C’est à mon sens, la meilleure et unique façon d’être.
être soi.

Ceci m’amène à une réflexion, un tantinet perverse ; chaque mère, chaque père; devraient toujours regarder leurs enfants en se disant « Cet enfant est unique, nous nous devons de l’encourager à être lui, et non l’encourager et le battre pour qu’il soit comme les autres ».

Au delà de ce concept, dans nos gouvernements nous devrions remplacer les banquiers par des artistes spiritualistes.
et leur donner les moyens.

 Propos du sculpteur métal Alchimiste  cliquez sur le lien – l’image ci contre – pour en savoir plus.


Françoise Renaud, vous êtes écrivain, que diriez vous sur le travail de Dom ?

peut être qu’il avait eu du mal à se sortir des draps ce matin-là,
à se lever, à marcher jusqu’à la fenêtre,
plus tard à se faufiler dans la brèche de monde où il travaillait durant ces jours d’hiver,
rien qu’une mince ouverture, une parcelle de jardin entourée de bambous où le froid pinçait, où il se tenait agile, bougrement résistant, tel un échassier sur le qui-vive …
le travail :
métal, fer au rebut, chutes industrielles, plaques aux découpures cruelles, certaines plates, érodées, d’autres grumeleuses franchement rouillées, toutes entassées chez le récupérateur de métaux – du réemploi, qu’ils appellent ça ¬– dégageant une forte odeur d’huile, toutes à sa portée, à sa merci, suffit qu’il les choisisse, les paie au poids et les transporte jusqu’à la clairière aux bambous pour les ranger tant bien que mal sous un repli de toit improvisé
et quand il s’y met, les choses avancent vite froid à certaines heures…
les yeux rêveurs pareils à ceux du Sphinx, il examine manipule jusqu’à trouver le meilleur angle d’attaque pour la découpe, ajuste les éléments, sifflote sitôt qu’il a trouvé le bon rythme
son visage semble érodé, exalté, tandis qu’à l’arrière des ombres nettement se découpent

rien que métal : matière grise, matière âpre et dure qui réclame l’énergie du feu pour être transformée, car le feu est le seul outil capable de lui apporter chaleur fluidité lumière, ensuite l’eau fixe la forme une fois pour toutes et donne à voir si elle est convenable, ainsi s’énonce l’alchimie du forgeron

le centre pour commencer – des chances que plus tard s’y appose une pièce en raku ou en terre cuite, association favorable du métal et de la céramique –, puis pétales arrondis recourbés, petites couronnes dentelées articulées transparentes légères composées comme en philosophant pour les générations futures, un jeu qui se poursuit jusqu’à atteindre la taille d’un gong de temple ou encore l’envergure d’un homme debout aux mains incurvées au-dessus de sa tête
puis vient l’étape de la mise à vif : éliminer les couches anciennes, poncer jusqu’au sang avant d’apporter une texture neuve grâce aux acides et aux pigments, fer bruni plus ou moins gras, rouille jaunie rougie marron glacé mordorée, d’aspect satiné griffé ou mouillé, techniques apprises sur le tas

et chaque fois c’est pareil, il oublie comment son corps s’est appliqué dans le travail et comment l’assemblage s’est créé, il ne garde que la joie
« chacun a ce qu’il faut en lui pour aller au sommet de lui-même, si simple au fond »,
voilà ce qu’il dit
il dit aussi qu’il est « fêlé », que la lumière passe à travers lui comme à travers un filet noir et blanc, soleil et lune, élégance et force arrangements inédits des vides et des pleins, pétales en forme de lotus, de langue ou de poisson, triskells acérés, rosaces intergalactiques, roues de la fortune rescapées d’anciennes fêtes foraines, mandalas contre paille ou carton peint, pyramides en dentelle à cinq mètres défiant les frondaisons
de près on distingue les coutures sur les pièces – sacrée belle ouvrage –, objets qui vont durer toujours alors qu’une branche ploie sous le poids d’un moineau

Fer  – Françoise Renaud ©2010
www.francoiserenaud.com